« Namaste, bitches! »

Explorateur d'un chemin spirituel sans étiquette ni maître, Stéphane Crête partage ici ses réflexions sur son propre parcours introspectif. Avec humour, il dénonce les clichés et les abus du jargon spirituel, tout en reconnaissant ses propres imperfections. Dans un monde noyé de bougies parfumées, d'encens, et de mantras, il lance un appel urgent à l'authenticité.

12/31/20224 min lire

Je suis un être spirituel. C’est-à-dire que j’essaie de marcher, avec le plus de conscience possible, un chemin qui remet en question ce que c’est d’être humain. Je n’ai rien à vendre, personne à convaincre, je ne suis associé à aucun dogme, je n’ai aucun maître, je n’ai pas vraiment de pratique, en fait, sinon que d’essayer d’être le plus cohérent avec moi-même.

C’est un chemin qui n’est pas facile à nommer ni à faire comprendre aux autres. Quand vient le temps de mettre des mots dessus, je bute souvent. Comment parler de cet univers et des activités qui l’accompagnent, au-delà des clichés et des étiquettes?

« Connaissance de soi »? Ça me semble manquer de panache. « Spiritualité contemporaine »? Trop intellectuel. « Croissance personnelle »? Ça me donne de l’urticaire. « Travail sur soi »? Pas très sexy. « Scène psychospirituelle »? Un peu trop abstrait.

Le choix des mots pour me faire comprendre est important, car trop souvent je sens que l’on interprète mal les motivations derrière mes démarches : « Il se cherche, il doit être en crise, pauvre lui. » On s’inquiète que je sois perdu, on craint que je veuille endoctriner tout le monde. Mais non. Ou alors on en rigole en faisant allusion à tout ce qui semble cliché de cet univers, mélangeant la psycho-pop avec le New Age, les gourous avec les chakras. Et alors là, je dois parfois leur donner raison.

Il est vrai que ce terrain est propice aux blagues en tout genre, aux allusions de toutes sortes. À ceux-là, aux cyniques et aux sarcastiques, j’aimerais pouvoir répondre qu’ils ont tort, que je suis dans une merveilleuse odyssée et que j’embrasse sans jugements le chemin de mes frères et sœurs de Lumière (« Lumière » avec un « L » majuscule). Mais c’est faux. Je sature moi aussi parfois d’un excès dégoulinant de bons sentiments, de regards faussement compassionnés et de prétentions spirituelles.

Je ressens parfois une grande lassitude devant le vocabulaire propre à ce monde : « mon ressenti, ça me fait vibrer, ça résonne, je t’accueille », et je suis triste que certains mots aient été vidés de leur sens, tant on les a utilisés pour vouloir tout dire : « conscience, énergie, vérité, présence ».

Je n’ai aucune attirance pour les magasins qui sentent la croissance : amalgame olfactif de chandelle parfumée, d’encens indien, d’huiles essentielles et de thé chaï, enrubanné dans un sirop musical fait de flûte de bambou et de synthétiseur du siècle dernier.

J’en ai contre l’utilisation abusive du « namaste », de la purification par la sauge et du Om namah shivaya.

Je deviens frileux lorsque j’entends les mots «terre-mère», «animal de pouvoir», «enfant intérieur» utilisés à n’importe quelle sauce.

J’en ai contre :

L’abus des symboles qui ne sont pas nôtres : figurines de Bouddha ou de Ganesh, tatouages en sanscrit ou idéogrammes chinois, fait sous le prétexte de l’arrivée d’un « nouveau paradigme » justifiant un mélange bâtard des traditions, amalgame improbable d’hexagrammes du Yi King, de capteurs de rêves, de kirtan-cacao et d’images d’Alex Grey;

Ceux qui croient soudainement détenir la vérité parce qu’ils méditent avec une appli d’Eckhart Tolle et portent un kit de yoga, qui me disent comment il faut respirer, et interviennent sur ma façon de gérer mon bac vert;

La fureur thérapeutique de ceux qui se jettent sur moi pour me faire un soin si je me sens triste ou fatigué;

L’utilisation abusive du terme « médecine » pour décrire l’usage de plantes et autres éveilleurs de conscience, quand il s’agit de justifier ses dépendances sous un prétexte spirituel;

Les maîtres Reiki qui n’ont en réalité fait qu’une fin de semaine d’introduction à Val-David;

Tout ce qu’on fait parce que ça se veut « tribal » : boire du maté avec une bombilla, porter un nom spirituel avec plein de consonnes, s’asseoir au sol;

Les confus qui mettent dans le même bateau : chansons de Nahko Bear, théorie de la terre plate, présence d’intraterrestres, bitcoins, sons binauraux et citations de Thich Nhat Hanh;

N’importe qui se déclarant lui-même chaman;

Tous ceux qui ne savent pas jouer du djembé, mais qui en jouent quand même…

Je m’égare, je sais. Mais ça fait du bien. Je sais que j’exagère, que je suis dans le jugement. Je sais que je suis moi aussi porteur de certaines de ces aberrations, je sais que je tombe moi aussi dans les pièges du romantisme spirituel. J’en suis conscient. Tout comme je sais que je suis parfois frustré, amer, jaloux, envieux, colérique, rempli de paradoxes et de contradictions.

Parce que je suis un être humain.

Et parce que je sais tout ça, je crois que ça fait aussi de moi un être spirituel.

Et j’embrasse tout ça, avec une grande bienveillance.

Je respire et je m’accueille.

Namaste.


On a pu entendre ce texte au micro de l’émission Plus on est de fous, plus on lit, sur les ondes de Radio-Canada. Il est également publié dans l’ouvrage «Bien faire et se tenir en joie», aux Éditions Somme Toute, 2023